Article proposé par Heliosness, paru le 08/09/2016 07:47:56
Rubrique : Interviews, lu 3565 fois. Un commentaire
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FABRICE MARTIN: des racines aux premiers lauriers


 

 

         Oui, je sais ce que vous allez dire ! Ah, cette nouvelle recrue d’attelage.org, quelle ingénue, elle aime tout le monde, elle encense ! C’est d’un ennui !

         Détrompez-vous, non seulement je n’aime pas tout le monde mais encore, je n'ai pas été convaincue par tout le monde. Aussi, à mon retour de Bréda, vous parlerai-je essentiellement de ceux qui m’ont plu, avec le regard de l’amateur passionné qui découvre le haut niveau. Liberté inestimable que procure le bénévolat.

         Aujourd’hui, j’ai envie de vous raconter un peu de ce que Fabrice Martin m’a appris de lui lors d’un entretien qu’il m’a accordé mardi, avec ce naturel et cette simplicité authentiques qui font les êtres aux racines profondes, plantées dans leur terroir, que la gloire ne changera pas, thanks to God !

         Notre meneur a fait une remarquable et très remarquée troisième place à la maniabilité, dimanche 4 septembre 2016, au championnat du monde à Bréda, avec seulement 2,60 pour dépassement de temps, un sans-faute souligné immédiatement en français par le jury et applaudit comme il se doit par le public.

         Je n’avais pas osé le déranger après le dressage où j’avais admiré la souplesse, la cadence, le rythme, l’homogénéité de l’équipage, son élégance aussi ; des chevaux menés avec une douce fermeté et une intelligente précision. J’aime que les gestes soient discrets, sans emphase inutile, que l’on mène dans une reprise l’air de rien, avec fluidité et une élégance nonchalante à la manière du Prince Philip, mon idole indétrônable, ce qui n’est pas encore le cas de Fabrice, mais cela viendra.
Pas osé non plus lui parler sur les gradins, le matin de la mania, tant il semblait concentré et avoir à cœur d’intérioriser son parcours. « Je me mets dans ma bulle, confirme-t-il, je répète mentalement le parcours que j’ai envisagé au cours de mes 6 ou 7 ‘marchers’ pour anticiper au maximum ». Et ça fonctionne bien !
Tout juste avais-je risqué une photo avec mon téléphone, que JCG avait aussitôt placée à la « Une ».

         Cet homme est discret sur les concours. Il fait ce qu’il a à faire, sans bavardage inutile, sans se préoccuper de ce qui ne dépend pas de lui. Cette sagesse est un gage de sérénité, de calme ; inutile de chercher des arguments qui gonflent les hormones du stress car « tout ce que le meneur éprouve, les chevaux le ressentent », me dit-il, en véritable homme de cheval.

         Alors, il ne pense rien de la décision qu’a prise la Fédération de ne pas le compter dans l’équipe. Il bénéficie des mêmes avantages et des mêmes inconvénients que les trois autres meneurs, de la même logistique, des mêmes conseils et des mêmes attentions de la part de Quentin Simonet (DTN) et de Félix-Marie Brasseur (entraîneur national) ; seuls ses points ne sont pas comptabilisés pour le concours en équipe. C’est cela, justement, qui nous fait enrager à a.o, car le cumul de ses points avec ceux de Benjamin Aillaud hissait la France à la 4ème place mondiale ! Le savoir… est-ce une consolation ? Pour certains, peut-être… mais il serait bon de le retenir pour l’avenir, non ?

         Alors, cette maniabilité était, me dit-il, « du niveau d’un international, du même ordre que celle d’Aix-la-Chapelle, pas plus difficile. Elle présentait la possibilité de faire de belles courbes pas pénibles pour les chevaux. Le juge de paix, c’était le chronomètre. » J’aime quand le meneur/la meneuse pense au confort des chevaux. Il n’y a pas de performance avec les animaux sans le respect que nous leur devons.

         Le Team de Fabrice est constitué des chevaux que Madame Patricia Nidjam met à sa disposition depuis quatre ans. C’est lui qui s’en occupe chaque jour et en assume l’entretien mais il souligne que, sans elle, il n’aurait pas pu poursuivre sa passion. Au reste, il me confie que les chevaux et l’attelage sont plus qu’une passion, « une véritable drogue » dont il ne peut se passer. Il lui faut ses 3 h/jour seul avec eux. Il les connaît par cœur…ou presque… En effet, il a découvert à Bréda qu’il aurait pu faire preuve de davantage d’audace, leur en demander plus, au marathon comme au dressage. « Ils sont un peu trop détendus et décontractés. » C’est un comble ! Ce qu’il pensait être un but est devenu une étape, un palier ; il sait qu’il peut et doit les pousser davantage… car, finalement, il a repoussé leurs précédentes limites. Bravo !

         Il est fier de ce travail qu’il a réussi à obtenir avec des chevaux qui étaient considérés comme inadaptés au championnat du monde, difficiles, perdus pour l’attelage. Pour lui, il était exclu de leur refuser une seconde chance. Il a prouvé que sa manière de procéder avec les chevaux, par le contact, le travail quotidien, la complicité qui en découle, les stages et les conseils, produisait des résultats que la technique seule, sans affect, sans âme, ne saurait permettre d’espérer. Pour leur équilibre, les chevaux sont au pré, sortis tous les jours, pas seulement attelés mais également montés. En effet, chacun de ces chevaux forme un couple avec chacun de ses grooms qui sont les mêmes depuis 20 ans pour ceux qui l’assistent au marathon. Il les connaît depuis qu’ils sont gamins. C’est lui-même qui les a mis en selle, les a formés au Dressage monté. Chaque couple cheval-cavalier/groom fait 3 ou 4 concours de Dressage dans l’année. « C’est bon pour les chevaux de voir autre chose que l’attelage et c’est bon pour mes équipiers de se faire plaisir avec les chevaux du team. Un attelage, ce n’est pas 4 chevaux et un meneur mais 10 êtres qui vivent et partagent tout quotidiennement. Sans un entourage familial qui se donne à fond dans ce que vous faites, vous n’arrivez pas à ce niveau. » m’explique-t-il.

         Le haut niveau, en effet,  implique obligatoirement de lourds sacrifices financiers. Mais la France n’est pas accoutumée au sponsoring ni, moins encore, au mécénat, loin s’en faut ! Et l’attelage demeure un sport confidentiel qui n’attire guère les foules… Alors il fait avec, ou plutôt sans, exactement comme les autres meneurs français qui doivent travailler et s’entraîner sur leur temps libre.

         La récompense ? Elle est de taille : « Je ne sais pas si vous imaginez combien c’est jubilatoire de faire 3ème mondial à la mania avec de tous petits moyens ! Etre à la remise des prix, avec Boyd à ma droite et Chardon à ma gauche, avec un attelage dont l’intégralité n’atteint pas le prix d’une paire de ces deux-là ! » Au reste, Boyd Exell l’a félicité à l’issue de la remise des prix de la maniabilité. Loin de le jalouser, il l’admire. « Il y a eu les années avant Boyd, les années Boyd et  il y aura les années après lui. Le mec est sain, il est bon, c’est un artiste et puis voilà. »

         Fabrice Martin est, lui aussi, un homme sain, qui aborde les concours en se préparant physiquement et mentalement, avec calme et sérénité, « sans vouloir tout casser » mais seulement donner le meilleur de lui-même dans des performances « propres », en gardant bien présent à l’esprit d’analyser ce qui a manqué, ce qu’il aurait pu demander à ses chevaux, ce qui pourrait encore être travaillé et comment. L’analyse se fait aussi sur le terrain. Alors là, chapeau bas monsieur Martin !

         Quant au marathon, il avait à cœur de ne pas faire tomber les « tombants », de choisir des stratégies propres qui n’entament pas trop les chevaux car c’était une épreuve longue et coûteuse pour les animaux, sans faire de voltes. Il aurait aimé avoir effectué un ou deux concours supplémentaires auparavant du même niveau de difficulté afin d’être mieux préparé. Il est content du comportement des chevaux qui ont bien réagi. Il sait désormais qu’il sera plus audacieux.

         Je le souhaite car ce meneur a décidément les qualités de ceux qui peuvent arborer dignement la couronne de lauriers.

Merci pour le plaisir que vous nous donnez.

Interview Heliosness

 

N.B. vous pouvez revoir sa maniabilité sur a.o. youtube et son dressage sur notre site.                                                                                                               


  Commentaires
-Point de vue par JeanClaudeGrognet (08/09/2016 07:56:14)
Le besoin de reconnaissance est en chacun de nous. Il fait sortir du bois les médiocres, et il y a les autres. Fabrice a toujours été noble dans l'adversité comme dans le succès.