Article proposé par Renata, paru le 10/04/2017 08:08:01 Rubrique : Culture générale, lu 3032 fois. Un commentaire |
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Allons à la plage !
Le printemps donne des envies de soleil et de plage, les destinations exotiques ont pu satisfaire quelques heureux en hiver, mais sous nos latitudes, il faudra attendre plusieurs jours ou semaines avant de profiter des bains de mer.
Pourquoi les bains de mer sur un site dédié à l’attelage ? Grâce aux chevaux bien-sûr, gardiens, malgré eux, de la pudeur, la convenance et des bonnes mœurs en usage aux siècles précédents.
Remontons le temps, au début du 18ème siècle. Les mers et l’océan représentent le lieu de tous les dangers.
En Angleterre (qui ne fait jamais rien comme les autres !), la baignade, recommandée sur prescription médicale, n’est pas une partie de plaisir, surtout pour les dames.
Les hommes se baignent nus, mais la cabine sur roulette est prévue pour les femmes, qui ne doivent en aucun cas montrer leur « intimité ».
Le « coup d’œil aux sirènes » n’est que pur fantasme.
Les voici dans leurs costumes de bain, six pièces au moins, très codifiés :
Non seulement les femmes ne doivent pas être vues en « tenue légère », mais elles subissent un traitement cruel, accepté puisque c’est pour leur bien. Des « dippers », « baigneuses » se chargent de les plonger dans la froide eau de mer, pour prendre « un bain à la lame », à la limite de la suffocation.
Les bains de mer thérapeutiques s’organisent pour tous, y compris les enfants. Des baigneurs et baigneuses se professionnalisent et des entreprises se créent pour le transport occultant ces dames.
Voilà nos chevaux à la plage, tout à la fois montés et attelés, ils découvrent une nouvelle facette de leur immense disponibilité.
Leur travail consiste à tracter ces lourdes machines de bain assez loin en mer, faire demi-tour pour que l’occupante puisse descendre l’escalier face à l’horizon sans fin… qu’elle ne voit pas à cause de la capote-crinoline déployée pour une discrétion maximale.
Elle ne sait pas nager, et de santé fragile. Imaginons l’ambiance dans cet espace clos, assombri, résonnant du bruit du vent et des vagues. Brrrrr !
Espérons que les chevaux profitent aussi des bienfaits de la thalassothérapie.
Maintenant que tout un chacun s’habitue à ses baignades extravagantes, les cabines s’allègent. Sans doute les capotes imbibées et inconfortables devaient compliquer les manœuvres, avec un poids supplémentaire à tracter.
En Grande-Bretagne la ségrégation homme – femme imposée dès les premiers bains, est suspendue par une loi en 1901.
En France, où les premières « voitures – baignoires » arrivent à Dieppe et Boulogne sur mer en 1824, la mixité est de mise.
Sur la plage, un règlement stipule qu’au nom de la décence publique, les costumes de bain doivent couvrir le corps du cou aux chevilles, ou presque !
1862, bain de mer, par Georges du Maurier
La révolution industrielle est en marche, le chemin de fer rend aisé l’accès aux plages et à ses nouveaux plaisirs. Les bienfaits du soleil sont reconnus, les jeunes filles en fleur ne sont plus confinées à l’ombre. Les tenues de bain raccourcissent.
1908
Les cabines deviennent des lieux de rencontre, de causette, plus si affinité !
Les peintres et photographes installent leur chevalet et leur trépied au milieu des promeneurs et racontent ces moments insouciants.
Théodore Gudin
Eugène Boudin - Deauville
Eugène Boudin
Edouard Manet
Photo de la plage de Blankenberge en Belgique - entre 1890 et 1905
Le fanion sur une des cabines donne le signal au conducteur du cheval pour venir la remonter.
"Nous avons toujours la même cabine de bain, une cabine sur roues qui passait tout l'hiver dans les écuries du château.
Dès le printemps, on la réinstallait sur le haut des galets près de la promenade de la plage. Cette cabine qui nous a abrités durant toute notre enfance avait servi un jour à abriter la Reine Victoria. Lors d'une des premières visites de la Reine au Roi Louis-Philippe à Eu, les marins anglais manquèrent la marée haute et on dut faire débarquer la reine Victoria dans une chaloupe qui l'amena sur la plage. Pendant que les rameurs et des pêcheurs gardent l'embarcation en équilibre, des chevaux traînent la cabine montée sur roues dans les vagues. On laisse ensuite sa majesté britannique et ses énormes jupes dans l'étroit réduit qui reprend la route jusqu'au sommet de la montagne de galets, vers l'esplanade où l'attend Louis Philippe. Je conserve une belle esquisse d'Isabey qui reprend cette scène. C'est tout ce qui nous reste de la "cabine de la Reine Victoria" comme on l'appelait car durant la guerre de 1940 elle a disparu ».
Ce témoignage écrit par Isabelle, comtesse de Paris, relate l’arrivée « houleuse » de la jeune Reine Victoria à l’occasion de la future Entente Cordiale en 1843.
Eugène Isabey – étude (détail)
Eugène Isabey
La reine, comme bien d’autres têtes couronnées, était adepte des bains de mer et avait sa propre « machine » à Osborne House sur l’Île de Wight.
Toujours visible, après restauration
Une cabine bien modeste, comparée à la « royale petite maison de bain » d’Alphonse XIII d’Espagne.
Les chevaux, au gré des marées, continuent de descendre les lourdes machines de bain à la mer.
Voici un lien vers un petit film où l’on peut apercevoir, à Ostende en Belgique, le travail des chevaux, tandis que baigneurs et baigneuses s’amusent : https://www.youtube.com/watch?v=kL8mD7kHL3E
Attelés, dételés, réattelés, les chevaux arrachent les cabines à la mer, enfoncées dans le sable, retenues par les vagues.
Le manège des cabines diminuent à partir du début du 20ème siècle pour s’éteindre définitivement dans les années vingt.
Leur vestige perdure et habille quelques plages, offrant un paysage pimpant et nostalgique.
Cabines de plage à Gouville – photo Nathalie Brard
De Berk à Melbourne