Article proposé par Redaction, paru le 20/12/2023 08:10:43 Rubrique : Interviews, lu 831 fois. Un commentaire |
|
En novembre, le centre de valorisation du Haras du Pin, l’IFCE et le Haras National du Pin se sont rendus au Japon, sous l’impulsion de l’association « Japan Horse Logging association ».
Cette rencontre a permis aux meneurs japonais d’étudier la technique française d’attelage. L’interview proposé est réalisé entre attelage.org et Raphaël Berrard .
Environ sept jours de travail sur place.
attelage.org : Comment est née l’idée de ce partenariat entre la France et le Japon ?
Raphaël Berrard : « Il s’agit d’un partenariat entre les représentant de la filière équine japonaise, le Conseil des chevaux de Normandie et le Haras National du Pin au travers de son centre de valorisation des équidés normands. Ce partenariat a été signé en septembre 2022 dernier à l’ambassade du Japon.
La « Japan Horse Logging Association agit sur le développement de la traction animale pour des problématiques agricoles, forestières et de transports de personnes. La gestion des rizières entre dans ces problématiques agricoles, notamment pour la fabrication du Saké ( alcool de riz).
L’enjeu de l’entretien forestier et, plus particulièrement du débardage à cheval, est très important car 60 % des terres du Japon sont des forêts établies en milieu difficile, montagneux.
Notre groupe de travail était très important comme le montre la photo. Nous étions assistés par deux interprètes connaissant parfaitement la langue française ayant vécu en France. L'objet de la formation était uniquement orienté sur le travail agricole le côté sportif de l'attelage n'a jamais fait parti de nos préoccupations. Ces gens travaillent dans les rizières, dans les vignes, dans le maraîchage, dans le débardage, ou encore le transport de personnes.
Aujourd'hui le Japon s'interroge beaucoup sur l'entretien de ses forêts, de ses rizières, et porte un regard nouveau sur la modernisation et le "Tokyoïte ».
attelage.org : Raphaël, quelle est votre fonction précise dans ce projet ?
Raphaël Berrard : " Ici comme ailleurs, je suis formateur de formateurs. En d’autres termes, je suis formateur de futurs professionnels d’attelage aussi bien en attelage de compétition qu’en attelage de travail.
J’ai déjà l’expérience de la transmission technique à l’international ayant déjà travaillé avec la Belgique, le Maroc et la Corée. Je suis ravi d’effectuer cette nouvelle mission avec le Japon. J’ai déjà commencé à leur enseigner la technique Achenbach. Elle sera notre langage commun. Lors du dernier meeting japonais, il y avait à peu près 40 stagiaires et observateurs s’initiant à cette technique. Ultérieurement, il se peut que nous soyons également un conseiller en matière de choix de matériels.
Enseigner aux Japonais, aux Coréens et d'une manière générale aux Asiatiques est très agréable. On explique une fois, c'est fait. Les gestes appris ils les répètent à la perfection. Ils ont aussi naturellement et peut-être culturellement l'acceptation de la sélection. Il n'y a pas chez eux de sentiment de discrimination, lorsque par exemple dans le groupe, nous avons choisi deux personnes plus compétentes que d'autres pour transmettre ce que nous leur avons appris ".
attelage.org : Combien de formateurs français sont récemment partis au Japon dans le cadre de ce partenariat ?
Raphaël Berrard : « C'est avec Stéphane Gallais meneur diplômé d’un BEES1 que nous avons porté nos connaissances à ce groupe de japonais. Stéphane a formé les cochers travaillant au Mont St Michel. Il est également agriculteur-maraîcher. Dans le cadre de ce métier de maraîcher, il utilise la traction équine.
Stéphane et moi-même, nous nous sommes rendus au Japon afin d’initier et de former à la technique Achenbach, ainsi que le débardage et le travail de la terre. Comme le cheval de sport, le cheval de trait au travail doit travailler dans le bon sens, ils doivent fonctionner avec leur dos. Étant à allure lente, on ne peut encore moins travailler dans la précipitation.
Le japonais est très rigoureux, ils ont adhéré très vite à la méthode Achenbach ».
Raphaël Berrard avec à sa droite Stéphane Gallais et l'ensemble des participants
ndlr à propos de Stéphane Gallais :installé à la ferme du Guyout à La Boussac près de Dol de Bretagne. Il est expert du travail agricole avec le cheval, vous pouvez trouver de nombreux articles sur internet, dont cette vidéo Faire à Cheval.
attelage.org : Comment s’organise ce partenariat entre les deux pays ?
Raphaël Berrard : Le Japon a fait appel aux connaissances françaises, en matière de menage et de traction, en s’adressant au Haras du Pin.
Il n’y a pas réellement de formation d’attelage structurée au Japon. La transmission est plutôt verbale entre un maître et son élève. Peu d’écrits sur le sujet circulent. L’objectif du partenariat est donc d’établir un langage commun entre tous les acteurs concernés par ce sujet aussi bien en France qu’au Japon. Ce langage choisi est la méthode d’attelage reconnue en occident : la méthode Achenbach.
Tous les matins nous avions organisé des cours théoriques en salle. Ce jour-là sujet a été le bien-être animal, la communication avec le cheval et ses besoins physiologiques. Tous les sujets ont été abordés de façons très basiques.
Travail au simulateur |
attelage.org : pourquoi la méthode Achenbach dans le domaine agricole ?
Raphaël Berrard : il faut rappeler ce qu'est la méthode Achenbach: tenue des guides dans la main gauche, faire le carré avec la main droite, reprise des guides si besoin, pour raccourcir les guides, les guides dans la main gauche la main droite venant derrière la main gauche pour tenir les guides, et la main gauche s'avance.
L'intérêt de mener avec la méthode Achenbach des chevaux de travail, c'est principalement d'éviter les fautes de main. Le cheval de trait au travail est essentiellement sur de la ligne droite, que ce soit du maraîchage, ou du labour. Le Japon est un pays très vallonné, il y a constamment une intervention sur la longueur des guides. Ainsi du fait de l'absence de faute de main, le cheval stabilise sa locomotion. Pour information, les Japonais ont plutôt la main douce.
L'intérêt aussi, est le langage international de la méthode Achenbach, que j'ai présentée comme un outil, et pas comme une fin en soi.
attelage.org : Pourquoi le Japon a un attirance pour le cheval percheron ?
Raphaël Berrard : Le percheron est le cheval de trait le plus connu au monde. Les Japonais le connaissent bien à travers leurs courses de traîneaux (Ban’ei). Il y a souvent une présence japonaise lors des grandes manifestations normandes liées aux percherons. En 2011, c’était le championnat de France du percheron. En 2024, nous aurons le Mondial du Percheron.
Le cheval que je vous présente sur la photo suivante est un cheval breton croisé avec une jument autochtone. Il faut savoir que si le Japon importe beaucoup de chevaux percherons il importe également des chevaux bretons
La photo précédente de gauche relate un cours de réglage des harnais avec l'une de nos interprètes. La jeune femme sur la droite avec le sac en bandoulière, est une française cavalière, architecte, qui se passionne pour les charpentes bois japonaises. Il n'y a pas de vis métalliques dans les charpentes japonaises, seulement des tenons, mortaises ou de la corde. Elle s'intéresse à l'attelage et au débardage.
La photo de droite c'est le travail au débardage. Le débardage nous l'avons travaillé en montant des parcours de maniabilité avec des cônes. Nous étions sur un ancien terrain de base-ball, terrain plat plus facile pour l'apprentissage et la sécurité. Avec les cônes de faire une simulation d'arbres sans risque d'écrasement.
Il faut aussi que je parle des voitures que nous avions à notre disposition. Nous avons tout d'abord découvert une sorte de pousse-pousse aménagé comme vous pouvez le voir sur les photos. Nous avons demandé une autre voiture pour nos exercices… Il n'existe au Japon qu'un importateur polonais. Nous avons donc utilisé un spider qui a très bien fait l'affaire.
« Le terrain de base-ball est au pied d'une montagne et d'une station de ski. Ici on est à 50 km de la mer, mais l'hiver il peut y avoir jusqu'à 4 m de neige ».
Le cheval au travail
|
Raphaël Berrard : « pour le maraîchage ou le travail en rizière, le cheval est attelé à un socle de charrue sur un timon. En France nous connaissons le Jourdant, un socle de charrue réglable, mais la version japonaise est extraordinaire car très légère. Le timon en bois est remarquable, son constructeur a suivi le fil du bois. Bien sûr le socle est accroché avec un palonnier et les traits pour la liaison avec le cheval.
Dans un petit potager situé à côté du centre, Stéphane a utilisé ce socle. Stéphane travaille avec les chevaux du côté de Dol de Bretagne. C'est vraiment un spécialiste, il a échangé avec les Japonais sur les techniques agricoles.
Un élève de Takashi Iwana, le meneur "phare" du Japon s'achemine vers une rizière. Takashi Iwana très connu dans le domaine, travaille avec d’anciennes techniques japonaises en débardage et en gestion des rizières avec des chevaux.
Nous avons donc échangé naturellement et réciproquement nos connaissances ».
Le travail en rizière est éprouvant. Le terrain est profond, l'eau monte très haut il faut pratiquement des bottes de puisatier. Les articulations basses des chevaux souffrent dans les ligaments et les tendons, il y a aussi des problèmes cutanés. Cela exige de sélectionner les chevaux aptes à travailler en rizière.
attelage.org : Quelles sont les prochaines étapes de votre collaboration ?
Raphaël Berrard : « Les formations devraient se poursuivre en France en 2024 au Haras du Pin, ainsi qu’au Japon.
L’objectif final sera pour le Japon, comme pour la France, de considérer le cheval de trait comme un compagnon de travail en vue d’effectuer la transition écologique. Le centre de valorisation du Haras du Pin s’inscrit dans cet objectif ».
attelage.org : Merci à Raphaël Berrard, à Stéphane Gallais.
© Rédaction attelage.org / photos transmises par Raphaël Berrard