Article proposé par Arba, paru le 01/06/2009 08:30:46 Rubrique : Culture générale, lu 3056 fois. Pas de commentaires |
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LISBONNE, 27 mai 2009 (AFP) -
Le dernier sellier de la Rue
des Selliers, en plein cœur de Lisbonne, a été sommé de quitter les lieux pour
faire place à un hôtel de charme mais, à 70 ans, José de Sousa veut continuer
d'assurer la pérennité d'un art transmis de génération en génération.
"Nous sommes l'ultime
refuge de l'équitation à la portugaise, dans sa plus pure tradition
baroque", clame avec passion cet énergique septuagénaire, héritier de
l'entreprise fondée par son grand-père dans le quartier de la Baixa, bâti sur
les décombres du tremblement de terre de 1755.
Par ordre de l'omnipotent
Marquis de Pombal, Premier ministre du roi Joseph 1er, la plupart des rues du
nouveau quartier prirent le nom des artisans qui devaient les occuper. C'est
donc au 200 "Rua dos Correeiros", dans sa boutique au plancher de
vieux bois et plafond soutenu par une arcade en pierre, que M. Sousa continue
de vendre selles et harnais, "uniquement fabriqués à la main, d'après des
modèles exclusifs".
"Dès l'avènement du
chemin de fer et de l'automobile, mes prédécesseurs ont su se reconvertir dans
l'équitation sportive et tauromachique" liée au cheval Lusitanien, monture
réputée pour "son intelligence, son habileté et son élégance",
explique cet homme au regard sévère, derrière ses larges lunettes. Aujourd'hui,
ses clients sont "surtout des étrangers, propriétaires de chevaux
lusitaniens", particuliers mais aussi professionnels ayant une école ou se
produisant en spectacle.
Seul sellier de cette rue
piétonne depuis si longtemps qu'il ne se souvient plus de son dernier
concurrent, M. Sousa traverse pourtant "de grosses difficultés
économiques". Un harnais de tête frappé des initiales "VS", du
grand-père Victorino de Sousa, coûte 180 euros, soit 100 de moins que l'article
équivalent d'une grande marque allemande. "Les nôtres sont meilleurs,
mais je suis obligé de les vendre à rabais pour continuer à en fabriquer",
regrette-t-il.
"Cette affaire ne
marche que pour des fous comme nous qui faisons ça par amour", résume
M. Sousa en tirant ses cheveux à peine grisonnants sur le côté. Et pour preuve,
sa selle la plus chère (1.800 euros) est un modèle de 1790, qu'il a reproduite
"pour le plaisir du défi" à partir de documents d'époque.
Avant de livrer sa quatrième
commande, le sellier se charge lui-même des finitions. Dans ses mains fermes et
habiles, le fer chaud creuse les dernières entailles ornementales dans le cuir
de cette selle en daim rembourrée, couleur crème, assortie au harnais aux
boucles de laiton ciselé et à une protection de croupe en fourrure de renard.
Bientôt, M. Sousa devra
déménager avec ses deux apprentis, bientôt trois, dans les futurs locaux de
l'Ecole portugaise d'art équestre.
Du groupe hôtelier espagnol qui
rénovera le bâtiment de la sellerie pour en faire un hôtel quatre étoiles, il a
obtenu l'engagement de maintenir une trace de ce lieu symbolique. Du dernier
sellier, il devrait rester deux vitrines, son enseigne et la tête de cheval,
accrochée au dessus de sa devanture depuis le temps de son grand-père.
"Car si la tête de
cheval disparaissait, toute le monde se demanderait où est passée la Rue des
Selliers", lâche-t-il sans se départir de son sérieux.
tsc/alc/mpd